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ISSN 2496-9346

vendredi 28 novembre 2014

J.H. Rosny Jeune, Les pilules de Berthelot (1941)

Dans cet article, JH Rosny fait référence au célèbre discours du chimiste Berthelot annonçant l'avènement de la nourriture sous formes de pilules. Il évoque aussi des textes de fiction et pose la question de la valeur anticipatrice de la littérature d'imagination scientifique.

Les pilules de Berthelot par J.H. Rosny Jeune
Président de l'Académie Goncourt



Dans ma jeunesse, les auteurs aimaient parler de l'époque où il suffirait d'avaler quelques pilules pour arriver à nous sustenter. Les repas, ces lourds repas où la chair se délecte, n'existeraient plus pour une humanité vivant d'amour et d'eau fraîche. C'était à la fois un sujet de moquerie et on ne sait quelle espérance pour les âmes éthérées. Personne, bien entendu, n'y croyait. Mais il faut se défier de l'imagination humaine: elle va toujours plus loin qu'on ne croit ; elle nous devance par une intuition supérieure sur la route de la chimère, et un jour, triomphante elle s'écrie « Je vous l'avais prédit ! » On a donc pu affirmer avec quelque apparence de raison que d'avoir imaginé un phénomène devient presque une preuve de sa prochaine apparition sur le terrain de la réalité. Goncourt, qui prenait des notes au diner de Magny, écoutait volontiers le grand chimiste Berthelot lui expliquant qu'on pourrait un jour se nourrir avec des pilules. Il lui racontait aussi qu'on vendrait force motrice chez les épiciers. Cela semblait fabuleux, et pour ce qui est de la force motrice, cela s'est de point en point réalisé, car l'automobiliste qui va chercher un bidon d'essence chez le Potin de l'étape achète bel et bien de la force motrice... Et nous pourrions multiplier les exemples. Tout ce que nous voyons au cours de guerre ne se trouve-t-il pas en principe chez Jules Verne ? Le « Nautilus » est bien l'ancêtre du sous-marin, le ballon dirigeable qui vogue à travers l'Afrique devance le Clipper américain, le grand canon de la Terre à la Lune annonce le canon Calais-Douvres ; l'explorateur du ciel, le professeur Piccard, va devenir l'explorateur de la mer profonde, et ce n'est pas en quatre-vingt jours qu'on fait aujourd'hui le tour du monde, ce n'est pas même en quatre-vingts heures. Ne sera-ce pas demain en quatre-vingts minutes ?...
Pour en revenir aux pilules de Berthelot, observons que le chimiste s'était complètement trompé quant à la voie à suivre. En bon chimiste, ami de nos savants médecins, il était allé par le chemin le plus court : son hypothèse prévoyait la formidable condensation de substances alimentaires : du bifteck comprimé, réduit à ses éléments. Les véritables précurseurs furent ici nos midinettes. Et faut avoir vécu de mon temps pour savoir avec quel mépris les savant» médecins parlaient des crudités. Ces choses-là, ne possédant aucune valeur nutritive, ne faisaient qu'encombrer les organes digestifs : elles propageaient les pires maux, poussaient à la déchéance et à la mort. Mes camarades et moi n'écoutions rien de tout cela ; nous n'aimions les carottes et les navets que crus, les pommes que vertes, les châtaignes que déchirées à belles dents. Les cousettes, les foudres d'Esculape, se refusaient à lâcher la laitue. la romaine, les coquillages. Il n'y avait pas jusqu'à ces pauvres petites chlorotiques qui ne rêvassent de dévorer des aliments extraordinaires : des araignées, des trognons de choux, et tant d'autres picas, craie, charbon dont les chers maîtres familiers des pièces de Molière, riaient à se tordre. Et pourtant, là était le salut. La chose débuta, si je ne me trompe, avec le béribéri, une maladie des plus dégoûtantes qui vous gangrenait les membres, vous faisait mourir morceau par morceau. Une goutte d'un liquide recueilli sur l'enveloppe des grains de riz suffit à réduire à néant ce mal épouvantable... On n'était, d'autre part, déjà aperçu que le scorbut, autre plaie de nos malheureux marins d'Islande, de nos voyageurs au pôle Nord, se guérissait de grains de moutarde, du jus de citron, des oignons crus. La vitamine C ou D fut ainsi découverte. Les cures héroïques de foie de morue n'eurent plus de secret pour nos Esculape. Ce n'était pas tant l'huile, corps gras à qui, à défaut d'autres suppositions, on faisait honneur des plus miraculeux redressements de la santé, c'étaient des particules microscopiques, les vitamines D, les vitamines C, rien du tout, qui agissaient avec une efficacité merveilleuse. Les pilules de Berthelot cessaient d'être des résumés de rôtis à la broche ou de poulets à la crème : c'étaient des atomes crochus qui s'accrochaient aux organismes les animaient, ne les lâchaient plus.
Pour beaucoup de gens encore, les vaisseaux remplis de vitamines que les Américains nous envoient sont une inconcevable surprise. Quoi ! ces bonbons que vont sucer nos gosses, qu'on va leur distribuer comme des bons points, ces pastilles, ces boules de gomme, en pralines au chocolat, c'est de la supernourriture ! Cela cale nos viscères, fait pousser nos membres, augmente notre poids, développe notre cerveau. Des Industries sont nées, toutes plus singulières les unes que les autres, fouillant avec de petits instruments subtils les graines de nos céréales, les pépins de nos fruits. Que dis-je les graines ? Les points germinatifs, les gemnules, la peau des oranges et des citrons, rien n'échappe à ces chasseurs d'atomes. il leur faut des vitamines A, B, C, D, des semences de vie Quand ils en ont recueilli de quoi remplir un dé à coudre, ils n'ont pas perdu leur journée. Nous sommes affamés, nous crions misère, nous nous sentons chaque jour plus faibles, plus languissants. Que croyez-vous qu'on va nous envoyer ? Que croyez vous qu'un blocus impitoyable va livrer aux poissons de la mer ? Des vitamines, encore des vitamines.
Les pilules de Berthelot !




Publié dans Le Petit Parisien du 27 février 1941

jeudi 27 novembre 2014

Paris Futurs : une anthologie de SF ancienne en pré-commande


ArchéoSF balaye l’ensemble des genres de la science-fiction ancienne et se propose de dénicher des perles rares, de remettre au goût du jour des textes oubliés, des anticipations, des aventures extraordinaires, des utopies, des uchronies, des histoires de savants fous, des récits préhistoriques…

Cette collection dirigée par Philippe Éthuin, née en numérique aux éditions publie.net (une vingtaine de titres, d’autres à venir très bientôt), et sur le web avec son site compagnon archeosf.publie.net où sont régulièrement mis en ligne des textes tout droit sortis de nos archives, saute désormais le pas du papier et propose ce premier fascicule autour des Paris du futur, imaginés, fantasmés, rêvés par des écrivains des XIXeet XXe siècles. Paris en ruines, Paris ville-lumière, Paris utopique, Paris dramatique, Paris sous la glace… Dix-huit textes pour vous faire voyager dans le temps et jouer aux archéologues du futur.

Table des matières

Les Ruines de Paris. Songe — Roland Bauchery
La ville nouvelle ou le Paris des Saint-Simoniens — Charles Duveyrier
Paris en ruines — Clémence robert
Paris futur — Théophile Gautier
Paris futur — Joseph Méry
Paris futur — Victor Fournel
L’avenir — Victor Hugo
Transformation de Paris — Tony Moilin
Les ruines de Paris — Gustave Nadaud
La vie à Paris en 1987 — Mirliton
Paris futur — Pierre Véron
La statue de Gambetta en l’an 2000 — M. Millaud
Le Paris futur ou l’An trois mille sept cent quatre-vingt-neuf — Arsène Houssaye
La mort de Paris — Louis Gallet
Paris futur — Jules Hoche
En 2305… De certaines peintures découvertes dans les ruines de Paris — François Crucy
L’inscription — Eugène Fourrier
L’inondation du métropolitain — Paul Vibert

PUBLICATION 12 décembre 2014
PRIX 12€
PAGES 80
ISBN 9782371760295
DISPONIBILITÉ : en précommande, voir informations ci-dessous.
FORMAT Fascicule dos carré collé + version numérique (EPUB et MOBI) téléchargeable sans frais supplémentaires et sans DRM + un texte numérique non réédité depuis 1850 offert pour toute précommande.

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mardi 4 novembre 2014

Henri Derville, La Piocheuse à vapeur (1857)

Au milieu du XIXe siècle, la science semblait pouvoir soulager les hommes du dur labeur. Les machines les remplaceraient non pas pour améliorer les dividendes des actionnaires mais pour épargner aux travailleurs les peines du travail. En 1857, Henri Derville imagine une piocheuse à vapeur qu'il décrit dans une poésie qui pourrait se résumer par ces vers: 


Ce qu'on traitait hier de chimère et d'audace / Sera réalité demain.


LA PIOCHEUSE A VAPEUR.

Le laboureur, un jour, brisé dans son courage,
Étancha la sueur qui baignait son visage;
Et, jetant l'aiguillon lassé,
Il mesura de l'œil l'horizon sans limite,
Et s'assit tristement sur l'herbe parasite,
Au bord du sillon délaissé.

« Seigneur! mon bras est faible et la tâche est immense, »
Dit-il. « A chaque pas le sillon recommence!
« A chaque jour nouveau labeur!
« Le soc heurté se brise aux roches de la plaine;
« Sous leur joug ruisselant mes chevaux hors d'haleine
« Se penchent, mornes, sans vigueur.

« Bien rude est le métier auquel on nous condamne!
« Ce pain que, par nos bras, tu fais tomber en manne,
« Pour nous, Seigneur, est incertain.
« Sur nous seuls des travaux le poids toujours retombe.
« Nous passons notre vie à creuser une tombe
« Devant la porte du festin ! »

Il disait; et, vers lui poussant sa marche ardente,
Léviathan de l'art, un monstre à voix stridente
Vient poser sa masse de fer.
D'une quadruple roue il écrasait la terre;
Et ses naseaux fumants, comme un rouge cratère,
Lançaient la vapeur et l'éclair.

Cyclope infatigable en ses forces accrues,
Du sol le plus rebelle au tranchant des charrues
Il s'emparait en souverain.
Les tronçons enfouis des forêts défrichées,
Les roches, de leur lit à regret arrachées,
Cédaient à sa griffe d'airain.

De cent hommes ensemble il achevait la tâche.
Il cardait le sillon qu'il fouillait sans relâche,
Mordant la terre à pleine dent,
Stigmatisant au sein cette ingrate nourrice,
Comme s'il eût voulu, dans son puissant caprice,
S'en venger en la fécondant.

Jeunes encor, pourtant d'apparence débiles,
Pâlis par l'air malsain que respirent les villes,
Par les soucis, par le travail,
Deux hommes, les bras nus, les mains noires de poudre,
Comme pour enseigner son chemin à la foudre,
Veillaient debout au gouvernail.

Et, comme l'éléphant courbé devant son maître,
Jalouse de leur plaire et prompte à se soumettre
Au doigt invisible et fatal,
Gonflant et dégonflant sa puissante narine,
Tour à tour bélier, flèche, ou serpent, la machine
Obéissait à leur signal.

Voyant l'homme muet, de son regard austère
Sonder les profondeurs d'un terrible mystère
Dans le sombre avenir caché:
« — Frère lui dirent-ils, ta misère s'achève!
« Sous des dieux inconnus un autre jour se lève
« Pour l'homme à la glèbe arraché.

« Accepte les effets sans connaître les causes.
« Nous avons travaillé pour que tu te reposes ;
« Au joug nous venons te ravir.
« La Science affranchit l'homme de la matière.
« Et la matière, bois, métal, vapeur ou pierre,
« Est l'esclave qui doit servir!

« Les éléments, pliés aux lois de la Science,
« Ne sauraient déranger la magique alliance
« Qu'elle les force à contracter :
« Le foyer donne à l'air ses gerbes d'étincelles;
« L'onde sa liberté; l'éclair donne ses ailes ;
« Le fer, un frein pour les dompter.

« Point de rébellion dans l'ignorante plèbe!
« L'activité de l'homme enlevée à la glèbe
« Vers d'autres buts va prendre essor.
« Le bien-être de tous est au fond du problème.
« Pour qui doit travailler et vivre de soi-même
« Assez de maux restent encor.

« Le jour vient, il est proche! où l'antique routine
« Doit céder en tous lieux la place à la Machine,
« Servante de l'humanité;
« Où la Machine, aux champs par elle mis en friche,
« Sèmera; de surcroît, en le faisant plus riche,
« Le grain qu'elle aura récolté.

« La Science résout tout problème en sa route.
« Qu'importe qu'elle trouve et l'injure et le doute,
« Et le mépris sur son chemin !
« A toute vérité le temps garde sa place.
«  Ce qu'on traitait hier de chimère et d'audace
« Sera réalité demain.

« Marchez, savants, marchez! à vous enfin le monde!
« La distance vaincue, il faut qu'on la féconde!
« Donnons aux Landes des fermiers !
« Il est, au mont Atlas, une terre française
« Où le vent du désert souffle encor trop à l'aise.
« Qu'on y bâtisse des greniers!

« Des wagons, par milliers, sur nos routes nouvelles,
« Se croisent en réseaux ; - qu'ils portent des javelles
« Au lieu de porter des soldats!
« Taillons dans l'horizon nos champs après nos rues!
« A tes Cincinnatus, France, il faut des charrues
« A la mesure de leurs bras!

« Il faut à nos enfants des gerbes plus nombreuses
« Pour vaincre le fléau des misères haineuses;
« Car la faim a son aiguillon.
« Il faut que l'avenir, issu de nos prodiges,
« Sous la poudre des temps retrouvant nos vestiges,
« Connaisse le peuple au sillon! »




Le vieillard écoutait; mais son âme incertaine
Devait longtemps encor traîner la lourde chaîne
D'un passé fécond en douleurs.
Il s'éloigna, semblable à l'homme qui s'éveille,
Et croyant, entendre à son oreille
L'Evangile des jours meilleurs



Ferme de L'Epine 1856.