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mercredi 8 juin 2016

Edouard Driault, Le Rêve de l'Empereur (1906)

Le professeur d'histoire Edouard Driault (1864-1947), fondateur de l’Institut d’études napoléoniennes, a consacré de nombreux travaux à Napoléon Bonaparte.
La conclusion de son ouvrage Napoléon en Italie (collection Etudes Napoléoniennes, éditions Félix Alcan , 1906) a pour titre « Le Rêve de l'Empereur ». Il nous représente l'Empereur au Kremlin imaginant un avenir radieux.





Vainqueur de toute l'Europe continentale, maître de Moscou, il voit enfin avec précision la réalisation toute proche de son rêve. La Russie sera obligée bientôt de traiter et de renoncer à toute prétention sur la péninsule des Balkans; une barrière polonaise, turque et suédoise l'enfermera, comme jadis au temps des rois, dans ses forêts du Nord. Qui alors pourra empêcher Napoléon de décider du sort de la Turquie? Les Turcs se rendent compte qu'après les Russes, ce sera leur tour; ils s'y résignent déjà; il leur faudra au moins admettre avec le Grand Empire une alliance étroite qui cachera mal leur vassalité. Dès 1797, Bonaparte disait à Talleyrand : « C'est en vain que nous voudrions soutenir l'Empire de Turquie; il tombera de nos jours ». Il n'a pas changé d'avis depuis; au contraire, les révolutions qui ont récemment bouleversé la Turquie l'inclinent encore davantage à la ruine ; et il se rappelle sans doute ce rapport de Sébastiani, revenant de l'ambassade de Constantinople, en 1808 : « Sultan Mustapha régnant n'a point la lumière de son prédécesseur et en a toute la faiblesse. Son règne me paraît devoir amener la fin de cette dynastie; car, si un mouvement populaire le renversait lui-même et plaçait sur le trône Sultan Mahmoud son frère, — c'est justement ce qui est arrivé quelques semaines après, — la Turquie serait gouvernée par un prince faible, doux et valétudinaire, atteint d'une épilepsie incurable. La famille des Ottomans est menacée de s'éteindre tout naturellement. »
Il sera plus facile encore d'en finir avec l'insurrection d'Espagne, lorsque toute la Grande Armée, revenue de Moscou, se retournera sur elle. Dès lors, de Gibraltar au Bosphore, Napoléon disposera de toutes les côtes de la Méditerranée ; elle sera une mer française, comme elle était autrefois une mer romaine.
De l'Italie au centre de cette mer, de Rome au centre de l'Italie, l'Empereur enfin pourra « fixer les destinées de l'Empire ». Il a l'intention de laisser à Eugène le gouvernement de l'Italie pendant une vingtaine d'années, c'est-à-dire jusqu'à ce que le roi de Rome soit arrivé à l'âge d'homme ; alors sans doute le jeune prince y fera l'apprentissage du gouvernement de l'Empire. En attendant, il vivra à Paris, près de son père, qui lui construira au bas de l'Arc de Triomphe, sur les coteaux qui descendent à la Seine, au bout de la Voie Glorieuse que Ton tracera de l'est à l'ouest de la capitale, un palais digne de sa grandeur future. Mais il faudra marquer, par une cérémonie capable de retenir l'admiration des hommes et de la postérité, cette organisation suprême du Grand Empire. Cela est prévu. Regnaud de Saint-Jean-d'Angély disait au Sénat, en lui présentant le sénatus-consulte du 17 février 1810 : « Rome remontera plus haut qu'elle n'a jamais été depuis le dernier des Césars. Elle sera la sœur de la ville chérie de Napoléon. Il s'abstint, aux premiers jours de sa gloire, d'y paraître en vainqueur. Il se réserve d'y paraître en père! » En père du roi de Rome!
Mais ce sénatus-consulte lui-même est plus précis. Il déclare en son titre premier qu'après avoir été couronnés dans l'église Notre-Dame de Paris, les Empereurs seront couronnés dans l'église Saint-Pierre de Rome, « avant la dixième année de leur règne » : cela correspond pour Napoléon à Tannée 1812 au
plus tard. Dès le retour de Russie, il faudra s'en occuper.
L'Empereur et le roi de Rome au Capitole! Quel spectacle! Ils y annonceront au monde la grande paix française, féconde en prospérités séculaires, comme la pax romana des empereurs d'autrefois....
Du fond du Kremlin, au palais de Catherine II, l'Empereur poursuit son rêve. Même ce n'est pas un rêve, c'est la réalité de demain; il la touche; il voit son fils; il le voit à Rome : il y satisfait ses ambitions et ses affections les plus chères, les seules vraies passions qu'il ait eues. La conquête est finie. Quel glorieux repos !
De hautes flammes le r éveillent en sursaut. Ce sont peut-être les feux de joie de la Grande Armée, comme à la veille d'Austerlitz. On accourt, on rappelle; on veut l'emmener, il résiste ; on l'entralne par force, dans la nuit, parmi les murs qui croulent. C'est Moscou qui brûle. Le rêve de l'Empereur s'évanouit dans la fumée. 


Edouard Driault, Napoléon en Italie (collection Etudes Napoléoniennes,
éditions Félix Alcan, 1906) 

Image: Viktor Mazurovsky (1859–1923), Moscou en feu.

A lire:
Les Autres vies de Napoléon Bonaparte. Uchronies et histoires secrètes, collection ArchéoSF, éditions publie.net, parution le 29 juin 2016. Vous pouvez commander cet ouvrage en cliquant ICI. 

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