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ISSN 2496-9346

dimanche 21 octobre 2012

Les dimanches de l'abbé Béthléem 16: septembre 1909


Seizième épisode de notre exploration de Romans-Revue dirigée par l'Abbé Bethléem qui proposait au début du XXe siècle une lecture morale (rigoriste même) des parutions récentes (voir la présentation sur ArchéoSF).
Cette semaine, le mois de septembre 1909.


Commençons par une remarque sur des romans, revues ou périodiques qui ne sont devenus objets de critique littéraire que récemment. Si la critique produite dans Romans-Revue, nous l'avons vu à l'envi dans tous les épisodes qui précèdent, est fortement morale (et finalement peu littéraire), on trouve tout de même des réflexions qui peuvent paraître "modernes" pour l'amateur de littérature populaire et de littérature de genre. Il faut attendre le colloque de Cerisy en 1967 (actes réunis en 1970 sous le titre Entretiens sur la paralittérature) pour voir émerger une véritable critique de ce vaste continent littéraire qui échappait jusqu'alors largement aux travaux des chercheurs (nous citerons a contrario et dans le désordre les travaux de Jacques Van Herp, Yves Olivier-Martin, Pierre Versins, Régis Messac,...). Et quand on lit cette anecdote rapportée par Léon Jules critique du périodique La Mode illustrée:

J'en étais là de mon article quand un ami vint me trouver— Pas possible ! tu lis des journaux de mode à présent ?— Quel mal y a-t-il ?— Non mais, à quoi cela peut-il te servir ! Est-ce que par hasard, tu songerais à monter un atelier de confections ?— Point, je fais de la critique.— De la critique sur les journaux de mode ?— Hé, mon cher, pourquoi pas ? Est-ce que dans ces journaux, on ne traite pas des questions intéressant la morale ? Est-ce qu'il est indiffèrent de conseiller à une femmedes parures excentriques ou des plaisirs dangereux ? Est-ce que, à propos de tel ou tel détail, de tel ou tel compte-rendu, à propos de danse, d'éducation, de médecine ou délégislation, à propos de tout et de rien, on ne peut pas donner des entorses à la foi ou aux bonnes moeurs ? Est-ce que les romans, contes et nouvelles, publiés dans les journaux de modes, ne peuvent avoir aucune valeur bonne ou mauvaise, et doivent échapper aux prises de la critique ?— Va, toujours, mon bonhomme. Mais, à ce compte, et si tu épluches d'aussi près que tu me le dis, toutes ces babioles, bonnes pour les femmes, tu ne dois pas trouver grand chose de sérieux à dire, ou tu dois en trouver de trop.— Comment cela ?— Oui ; car, étant donné ton genre, ou tu dois passer à travers ces mille riens, sans y rien comprendre, ou si tu y vois quelque chose, ce ne peut être évidemment que des grandes machines de philosophie, que tu bâtis toi même.— Mais, du tout, j'essaie de comprendre ce qu'on dit, pourquoi on le dit, et si l'on a raison de le dire.
CouvertureDans la catégorie "Ceux dont on parle", Anatole France est à l'honneur si l'on peut dire. Le titre L'Ile des pingouins est mentionné (une histoire parodique de la France qui se termine par un chapitre purement conjectural: "Les Temps futurs"). Ici le chroniqueur Roger Duguet se lâche en lançant ces mots (qui donnent une idée du ton parfois féroce de la revue):
Sa palinodie du panégyrique de Zola n'est rien en comparaison des récents factums, lourds, grossiers, sans saveur, autant qu'une profession de foi de franc-maçon, sur les murs de son bourg pourri électoral. Ainsi le virus dreyfusiste et la main-mise du pouvoir occulte qui règne aujourd'hui sur la France déforment jusqu'aux génies les plus ailés. C'est la marque de l'Etranger sur le front de la race.
Et l'on apprend qu'Anatole France est "à la solde d'un Comité judéo-protestant pour la défense de la politique religieuse de la secte devant l'opinion universelle".

Dans la section "Romans du mois", relevons celui de JH Rosny Nymphée (texte récemment recueilli dans La Guerre des Règnes ) classé dans la catégorie Romans pour grandes personnes:

Rien n'est plus commun qu'un livre de J.-H. Rosny. On peut dire aussi que rien n'est plus rare. Les auteurs de Vamireh, après avoir écrit des romans de passion et de volupté, comme les premiers boulevardiers venus, se remettent aujourd'hui au genre qui leur valut leur réputation. Ils ne craignaient pas de déduire les civilisations primitives ; ils ne redoutent pas d'évoquer des paysages et des moeurs étranges dans Nymphée. Nous n'osons pas dire qu'ils y sont plus heureux que dans leurs lentes investigations à travers les sociétés modernes.

L'histoire d'un explorateur, perdu en un-pays inconnu, qui y trouve des hommes mi-poissons mi-hommes, se voit enlever sa fiancée et la sauve enfin : l'histoire d'un autre explorateur poursuivi par les noirs, accueilli par un lion qu'il apprivoise, qui le défend et lui fait retrouver une jeune mauresque dont il est épris ; ce sont Nymphée et Le Lion ; ce sont deux contes qui se ressemblent à merveille, où l'imagination la plus exubérante se joue avec plaisir.
On dirait d'une invention hardie de Jules Verne. Avec, en moins, l'intérêt de l'intrigue ; avec, en plus, quelques détails osés, et une satire parfois du mariage et de la société d'aujourd'hui.
Mais n'est-ce pas faire injure aux frères Rosny de les comparer à Jules Verne ?
J'en connais qui diraient que c'est leur faire beaucoup d'honneur.
Comparaison n'est pas raison.




A dimanche prochain !

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