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ISSN 2496-9346

dimanche 5 août 2012

Les dimanches de l'abbé Bethléem 5 : septembre 1908

Nous poursuivons notre série consacrée aux critiques des oeuvres conjecturales dans Romans-Revue, publication dirigée par l'Abbé Bethléem visant à offrir à ses abonnés de saines lectures. Nous faisons des écarts régulièrement vers la littérature populaire et la littérature de (mauvais) genre. En septembre 1908 le policier est à l'honneur dans Romans-Revue.
Le numéro offre des critiques concernant une adaptation théâtrale de Sherclock Holmes par le célèbre feuilletoniste Pierre Decourcelle, un article sur un ouvrage d'anticipation, Le Maître de la Terre, qui va susciter la polémique pendant plusieurs mois chez les catholiques de l'époque et un avis tranché sur le personnage de Maurice Leblanc Arsène Lupin.

« Les pièces de théâtre »

Tout le monde connaît Sherlock-Holmes, la pièce que M. Pierre DECOURCELLE a extraite des ouvrages de Conan Doyle, le célèbre romancier anglais. Cette pièce créée le 20 décembre dernier n'a guère quitté l'affiche depuis cette époque et le héros est devenu en France un personnage populaire. Nos lecteurs en liront peut-être l'analyse avec intérêt.

Au premier acte, nous sommes chez le couple Orlebar, qui tient séquestrée une jeune fille, Alice Brent, et sa mère. Alice détient des lettres adressées à sa soeur par un prince, et veut la venger en faisant connaître ces lettres à tous. Les Orlebar voudraient tirer profit de ces documents qu'ils ne parviennent pas à trouver, et s'adressent à un détective amateur, Sherlock-Holmès, qui trouve les lettres, et se fait le loyal protecteur d'Alice.

Au second acte, les Orlebar, poursuivis par le roi des policiers, s'adressent au professeur Moriarty, le roi des bandits, qui leur promet la victoire.

Au troisième acte, le duel se déclare entre Moriarty et Sherlock ; le bandit est venu chez Sherlock et lui demande ironiquement de cesser cette lutte inégale. Le policier refuse.
Au quatrième acte, Sherlock se rend dans le repaire de la bande Moriarty. Il y trouve Orlebar,qui doit lui rendre une imitation parfaite du paquet de lettres en la possession d'Alice. Alice, qui, par dévouement pour Sherlock, s'est aventurée dans cet endroit, est ligotée par les escarpes, mais le détective la délivre et il échappe lui-même aux pièges tendus, en éteignant l'unique lampe qui éclairait le taudis et en fixant à la fenêtre son cigare, qui brille dans l'obscurité, ce qui lui permet de s'enfuir.
Dans le tableau suivant, les émissaires du prince viennent prendre livraison des fameux papiers. Sherlock, après avoir fait placer Alice dans une pièce, d'où elle
pourra entendre l'entretien, livre les faux papiers achetés à Orlebar ; les émissaires croient que Sherlock s'est laissé duper ; sa réputation est finie. Mais Alice,.qui aime en secret le policier, intervient et livre les vrais papiers.
Au dernier acte, Moriarty, qui a juré la mort de Sherlock, s'introduit dans une maison qui fait face à celle où Sherlock se repose sur un fauteuil devant une baie vitrée. Il est armé d'un revolver, il fait feu ; mais ce n'était-là que le mannequin de Sherlock. Le vrai Sherlock et ses détectives sont dans la maison où se trouve Moriarty et mettent la main au collet du roi des bandits qui est ainsi définitivement vaincu.
Ces aventures rocambolesques ne visent guère plus haut que la Batrachomyomachie. Elles ont cependant pour effet de présenter à l'admiration et à l'imitation des faits très impressionnants. Mais comme elles n'exercent leur influence pernicieuse que sur une partie restreinte de l'humanité, on peut réserver à d'autres sujets les graves flétrissures.

Dans la catégorie « romans à lire » (toujours signé R. Varède) on trouve Le Maître de la Terre de Robert-Hugh Benson. Ce roman va donner lieu à une controverse : est-il acceptable ou non pour un catholique ?

C'est, ainsi que me l'avait déclaré mon ami, le libraire Biblion, une histoire bien étrange que nous conte M. Robert-Hugh Benson dans Le Maître de la Terre, une histoire bien anglaise d'aventures étonnantes et d'imagination, — quelque chose qui rappelle les romans de H.-G. Wells, Anticipations surtout, avec plus de psychologie pourtant et de pensée.

Car en nous relatant les derniers jours du monde, M. Benson a opposé et nettement délimité les deux camps qui se partageront alors les hommes. Il a clairement caractérisé, du ton d'un historien qui narrerait le passé,la lutte inévitable qui se produira tôt ou tard entre la religion catholique, la seule de celles qui furent un jour, et l'humanitarisme, devenu une doctrine et un culte.

L'inconcevable fortune de Felseuburgh, l'Antéchrist; et le désarroi des catholiques, dont le chef est obligé de se cacher en Palestine, forment le fond du tableau. Une lutte domestique, celle de Brand le ministre anglais et de sa femme, en est le principal épisode.

Tout cela est placé dans un décor féerique, tel que Jules Verne, chez nous, était seul capable d'imaginer : monde extra-civilisé du XXIe ou XXIIe siècle, où il n'y a plus de nations mais trois groupes d'états selon les parties du monde, dont la langue est l'espéranto, et d'où la guerre a disparu ; monde renouvelé par les inventions surprenantes, comme celle des aériens vulgarisés.
Mais, à la réflexion, cette société fantastique reste humaine.
L'histoire de la fin du monde apparaît presque vraisemblable, tant elle est étayée sur une connaissance solide de l'homme et de la vie, tant elle est présentée avec habileté et art, .— une habileté qui tient du prodige et de la magie, un art qui s'ignore et se cache.

Dans la partie « Correspondance » on trouve ces mots sur Arsène Lupin:

Un journal de la région publie actuellement un feuilleton de Maurice Leblanc, intitulé Arsène Lupin, gentleman-cambrioleur. Est-ce qu'une jeune fille peut le lire ?

R. Voici ce qu'osait écrire, le 6 août dernier, dans une revue à fort tirage un critique dont « Romans-Revue » s'est tout récemment occupé : « Nos auteurs français, ont raconté les ovations d'un Arsène Lupin et dévoilé les mystères d'une « chambre jaune ». Or; vous remarquerez que, en même temps que fleurit ce genre de littérature, la criminalité se développe d'une façon singulière... On peut se demander — et l'on se demande — si de pareilles lectures n'exercent pas une influence néfaste. On commence par s'amuser de la lutte engagée par le malfaiteur contre les représentants de la loi ; s'il y déploie beaucoup d'intelligence et d'énergie, on l'admire ; et de l'admiration à l'imitation, la pente est glissante. Les êtres sains, soutenus par les principes d'une éducation solide et entourés de bons exemples, résistant à la contagion ; les êtres faibles et mal influencés y succombent.

Oui, je déclare que l'action exercée par ces sortes de romans est troublante et nuisible. ». (Adolphe Brisson, « Annales » du 6 septembre 1908).
A dimanche prochain!

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