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ISSN 2496-9346

jeudi 1 mars 2012

Le rêve martien...

En ce 1er mars 2012, il semble normal de se pencher sur le cas de la planète rouge et de son impact sur l'imaginaire car Mars est l'un des grands thèmes de la science fiction ancienne ou moderne.
Le jeudi 10 mars 1911 (soit il y a un peu plus de cent ans), on pouvait lire, à la Une du grand quotidien français Le Gaulois, ces mots signés Tout-Paris et publiés dans un article "Rêves et superstitions"...



REVES ET SUPERSITIONS (extrait)



[...] Quand ils n'ont pas de ces superstitions, et même quand ils en ont, les hommes, et les femmes encore plus, se demandent si les autres planètes de notre système solaire sont habitées.
En quoi cela nous intéresse-t-il? Que ces planètes soient habitées ou non, nous n'en aurons ni un plaisir ni un chagrin de plus, et la terre continuera à tourner avec la même indifférence à l'égard de ses congénères.
Mars! C'est Mars qui les préoccupe le plus. Cette planète est assez proche de nous à certains moments pour qu'on puisse, avec un puissant télescope, y distinguer un pôle et des voies à peu près rectilignes et immenses, que tout de suite on a déclaré être des canaux, d'autres des nuages qui se partageaient ainsi.
Et quels canaux! Des voies larges comme l'Adriatique, qui iraient de Paris à Tombouctou,. et qui changent, de temps en temps, à peu près comme nous changeons de ministère. Chez nous, ces changements ne produisent que de simples déménagements imperceptibles de la planète, avec les plus puissants télescopes, tandis que là-bas ce sont des travaux gigantesques exécutés en un instant.
Comment sont donc les hommes qui habitent cette petite planète? Sont-ils vingt fois plus grands que nous, et ont-ils des machines à bouleverser leur sol, en moins de temps que n'en mettent nos députés à voter le budget ?
Les âmes sensibles sont nombreuses. Elles se sont émues à la pensée que nous pouvions avoir des frères inconnus à qui nous n'avions pas encore donné le moindre signe d'affection!
On a eu recours aux tables tournantes, aux somnambules, pour savoir comment étaient faits les Martiens. Portaient-ils les cheveux plats et avaient-ils la figure rasée, comme les jeunes Américains? Grave question.
Les tables ont répondu. Elles répondent toujours. Une somnambule, dont l'âme était allée voir ce qui se passait là-bas, a déclaré que les Martiens étaient tous des sirènes, mâles et femelles, moitié homme ou femme et moitié poisson, qu'ils plongeaient et nageaient comme des poissons et qu'ils faisaient leurs canaux pour pouvoir voyager plus commodément que sur terre, la queue de poisson ne favorisant pas la marche.
Rien de plus logique. Le problème était résolu pour ceux qui croyaient aux canaux.
Tout d'un coup est parti un cri spontané et généreux, proféré par des milliers de bouches barbues ou délicates et souriantes « Il faut leur faire des signes! »
Vous entendez bien, c'est des Martiens qu'il s'agit ; la télégraphie sans fil n'était pas encore inventée, et depuis qu'on s'en sert, nul effluve martien, nulle onde hertzienne émanée de nos frères de là-bas n'est venue troubler nos appareils.
Comment leur faire des signes, et quels signes? Il est probable que les signes maçonniques resteraient incompris, et les signes de pluie, comme les signes des temps, ne leur diraient rien. Un rond, un carré ne leur feraient pas trouver la quadrature du cercle et leur feraient peut-être supposer que, chez nous, les hommes sont carrés et que les femmes sont rondes.
Il y avait mieux à faire : dessiner sur la terre; pendant la nuit, à l'aide de projecteurs électriques, la figure d'un homme; mais quel homme, pour qu'il devienne visible à une telle distance! Un homme dont la Belgique et la Hollande figureraient la tête, dont la France dessinerait le buste, l'Espagne une jambe, l'Italie l'autre, avec sa botte! Un homme qui danserait la gigue! C'était gai. On y a songé et c'est aux Etats-Unis qu'on a voulu exécuter ce projet, à travers plusieurs Etats de l'Union. On a même ouvert une souscription. Mais il fallait beaucoup de millions et il ne s'est pas trouvé d'âmes sensibles en assez grand nombre. Signe de la dureté des temps, le seul signe que les Martiens puissent percevoir chez nous, en ne l'apercevant pas.
Et voilà que le professeur Arrhenius, élu membre correspondant de l'Académie des sciences, vient de démolir en Sorbonne tous ces rêves, en prouvant qu'il n'y avait en Mars ni canaux ni êtres vivants!
Quel dommage pour ceux qui trouvaient là un excellent sujet de conversation! Ainsi tout s'en va! Et cela se passe au mois de mars!

Tout-Paris

Source: Gallica

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